230 millions de victimes dans le monde : la mutilation génitale féminine (MGF) est un problème de société majeur, qu’on a tendance à situer en Afrique. Cette pratique existe aussi pourtant en Asie du Sud et reste encore très taboue. Dans ce billet, je vous parle du problème de mutilation génitale féminine au Pakistan.
Installée sur la terrasse d’un dhabba, l’équivalent d’un café ou d’un bar à ciel ouvert, je fais la connaissance d’une voyageuse polonaise qui est de passage en ville. Je lui ai proposé de nous rencontrer, pour parler de nos aventures et de ce qui nous amène dans la région. Au détour de la conversation, nous venons à parler de Waris Dirie. Elle me parle de son parcours, sa vie en Somalie, son exil et son militantisme en tant qu’ambassadrice de l’ONU chargée des questions de mutilations sexuelles. À ce moment-là, je pensais uniquement à ma peine envers ces femmes africaines qui doivent subir ce type de traitement inhumain et criminel.
Peu de temps avant cet échange, où je me rappelle avoir trouvé la chaleur de la ville lourde et pensante, j’avais rencontré une autre voyageuse. Elle était égyptienne. Une fois de retour chez elle, nous sommes restées en contact. Elle me parle alors de sa chaîne YouTube et du fait qu’elle y publiera occasionnellement des témoignages, lui semblant être un devoir de société. À ma grande surprise, sa première vidéo fut un entretien poignant d’une professionnelle de santé dont les collègues pratiquaient l’excision en Egypte.
Ce sont ces deux rencontres qui m’ont inspiré à faire des recherches et à regarder ce qui se passe là où je suis. Il est évident que ce sont des choses qui se déroulent partout dans le monde, alors pourquoi sommes-nous si aveugles ?
J’ai essayé d’en parler autour de moi, mais force est de constater que la population locale, même la plus éduquée, ignore l’existence de ce phénomène. Je comprends alors en cherchant moi-même sur la toile qu’il est très (trop) peu documenté au Pakistan.
L’excision au Pakistan
Selon l’Institut pour la Justice Sociale (ISJ) au Pakistan, cette pratique touche essentiellement la communauté Bohra, en partie située dans la province du Sind, et plus particulièrement à Karachi. Ce groupe se distingue par ses pratiques religieuses, ses rites et ses coutumes. Il y aurait presque 1 million de Bohras dans le monde, dont la majorité se trouve en Inde. Au Pakistan, nous parlerions ici de quelques milliers de victimes de MGF par année. Dès l’âge de 7-8 ans, les jeunes filles subissent ce qu’on appelle plus communément le khafd ou khatna, ce qui représenterait une mutilation de type 1 ou 2 d’après l’OMS.
« Au Pakistan, principalement à Karachi, la communauté Bohra pratique les MGF, mais cette pratique a lieu en secret avec les filles Bohri alors qu’elles n’ont que sept ans et qu’elles ne sont pas en mesure de protester ou de résister à cet acte de brutalité. On rapporte que ce ne sont pas seulement les filles Bohri pakistanaises qui souffrent de cette agonie, mais que de jeunes filles britanniques d’origine pakistanaise sont amenées par leurs parents Bohri au Pakistan quatre ou deux semaines pour y pratiquer la MGF. On affirme que près de « 90 % des filles Bohra sont contraintes à subir des mutilations génitales féminines ». Si 90 pour cent des filles de la communauté subissent cela, l’ISJ estime que, chaque année, environ 1 000 filles subissent la pratique des MGF. »
Rapport de l’Institut pour la Justice sociale (ISJ) du Pakistan
Une violation des droits humains au sein d’une communauté respectée
Rappelons-le, il s’agit d’une violation des droits humains et une atteinte à la santé des femmes. Au-delà des problèmes immédiats de douleur et d’hémorragie, il est surtout questions des conséquences néfastes sur le long terme : urinaires, menstruelles, sexuelles, vaginales et obstétriques, pour ne citer que celles-ci. Plus rien ne justifie le maintien de ces pratiques. Sous couvert de préservation des traditions ou de suivi strict de principes religieux, des enfants se retrouvent privées de leurs droits et doivent vivre avec ce traumatisme toute leur vie.
Pourtant, le plus frappant, c’est que les Bohras ne sont pas une communauté rurale et non lettrée. Ses membres sont réputé·es pour être éduqué·es et respecté·es dans le pays.
« Les Dawoodi Bohras sont souvent reconnus comme étant une population réputée et éduquée de riches professionnels du monde des affaires, constituant « l’une des communautés les plus respectées et les plus progressistes du Pakistan ». Il est important de noter qu’ils croient fermement en leur chef spirituel et en ses saints conseils, le chef spirituel et ses saints conseils, le Da’i al-Mutlaq. »
Lack of Data and Dialogue on Female Genital Mutilation in Pakistan (bridgew.edu)
C’est donc non seulement un fait sur lequel nous avons peu d’informations, mais c’est surtout le résultat d’un tabou social que l’on préfèrerait cacher.
Le manque cruel de mesures pour la lutte contre la MGF
Bien que l’État pakistanais ait intégré la lutte contre la mutilation génitale féminine dans un plan du gouvernement autour des années 2010 pour la protection de l’enfance, il n’y a jamais eu ni loi ni de rapport précis sur le sujet, ni de dispositifs de recueil de données.
« Mettre fin aux traditions et au pratiques coutumières néfastes, comme le mariage forcé ou la mutilation sexuelle féminine, qui violent le droit de la femme et de l’enfant. »
Plan d’action national pour les enfants, 2006
La plupart des sources disponibles proviennent de sources informelles, dont des billets de blog comme celui-ci, ou quelques maigres rapports scientifiques qui n’ont pas pu aller jusqu’au bout, bloqués par ce silence imposé.
Ce silence est lourd, pire que l’inaction.
Et encore, je fais état de la situation pour une partie de la population, mais il y aurait également d’autres communautés concernées dans d’autres régions du Pakistan. De mêmes pour les diasporas, alors même installées à l’étranger, qui maintiennent silencieusement ces pratiques. Et là, encore et toujours, peu de données, peu d’études, peu de témoignages.
Toutes les femmes que j’ai pu lire – car il faut le souligner que les sources les plus importantes sur le sujet ont été produites par des femmes – ont à l’unisson exprimé un même désir pour protéger leurs pairs pakistanaises : en parler.
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